Sebastiano Satta
Sebastiano Satta - Daniela Spoto 2022, © CCIAA NU

III. L'ascension du Monte Ortobene

Description

L’Ortobene, ou tout simplement ‘la Montagne’, est un endroit chéri par les habitants de Nuoro. Sebastiano Satta – poète à la fois de langue italienne, inspiré en ce sens par Carducci, et de langue sarde – lui a consacré des fameux vers:

Les moutons et les bergers se reposent.
Les chênes verts et les fougères ne frémissent pas à un las
souffle de vent ; la mer s'ouvre toute grande
du Monte Bardia jusqu'à Galtelli.
L'ombre d'un vol et un cri d'attaque:
voici l'aigle. Un lent balancement
qui remue le troupeau encore endormi:
l'ombre disparaît dans l'heure de midi.

Comme chaque habitant de Nuoro, Grazia Deledda considère l'Ortobene un endroit vital. Dans une lettre adressée au poète de Sassari Salvator Ruju, qui date du 5 septembre 1905, elle le décrivait ainsi:

Non, ce serait impossible de comparer l’Orthobene aux autres montagnes. Car l'Orthobene est unique dans le monde: il est notre cœur, notre âme, notre caractère et chez lui il y a tout ce qui nous rend grands et petits, gentils et durs, rudes et douloureux.

Dans la Montagne, la famille Deledda possédait des terres, que Grazia pouvait admirer depuis les fenêtres de sa maison à Santu Predu («De la fenêtre, munie d'un grille, comme toutes les autres fenêtres du rez-de-chaussée, on voyait le vert du potager; et parmi ce vert, le gris et le bleu des montagnes», écrit-elle dans Cosima). C'était un endroit où l'écrivaine aimait passer son temps: dans son roman autobiographique elle décrit méticuleusement les longues balades à cheval avec son frère Andrea et les aventureuses caravanes qui, chaque année, grimpaient jusqu'aux rochers et à la forêt dense. Elle se rendait avec les autres pèlerins au Sanctuaire de Nostra Signora di su Monte (Notre-Dame de la Montagne), dont les cumbessias étaient des logements utilisés pendant la période de neuvaine. Les balades à la montagne constituent, pour Grazia-Cosima, une opportunité de devenir adulte:

Certes, ce jour-là, Cosima apprit plus de choses qu'en dix leçons du professeur de lettres. Elle apprit à distinguer la feuille dentelée du chêne de celle lancéolée du chêne vert, et la fleur aromatique de la molène de celle du volubilis.

La Montagne est aussi la protagoniste du roman Il vecchio della montagna (1900), dans lequel elle décrit les rochers sculptés par le vent constellant le chemin qui monte jusqu'au sommet:

Les rochers empilés partout ressemblaient à des énormes sphinx; quelques blocs servaient de piédestal à des étranges colosses, comme des statues monstrueuses tout juste esquissées par des artistes géants; d'autres semblaient plutôt des autels, des idoles immenses ou des simulacres de tombes. La fantaisie populaire recèle ces cyclopes qui, à des époques lointaines, superposèrent peut-être les rochers de l'Orthobene; ils les perçaient dans la partie supérieure, et à travers les niches et les yeux qu'ils avaient fabriqués, le ciel riait.

Dans la nouvelle Colpi di scure, figurant dans le recueil I giuochi della vita, Grazia Deledda traite le sujet de la déforestation qui concerne l'Ortobene et d'autres montagnes en Sardaigne: à l'époque du Royaume de Savoie il s'agit d'une question cruciale, qui sera ensuite l'enjeu de la recherche historique et politique menée par Giuseppe Dessì dans ses romans.

Le 25 août 1971, la Montagne fut frappée par un terrifiant incendie qui brûla 800 hectares de forêt. Heureusement, elle a partiellement retrouvé son aspect verdoyant, suite à d'imposants travaux de reforestation. Sur les pas de l'écrivaine, on peut alors profiter d'une agréable promenade littéraire qui, du centre ville, conduit au beau milieu de la nature: depuis l'Église de la Solitude, il existe trois options pour parcourir le chemin de Deledda qui mène jusqu'au sommet du Mont Ortobene:

  1. À pied, en suivant le sentier 101, dont le départ est juste à côté de l'église, qui grimpe vers le sommet: il faut suivre l'ancienne route qui fut remplacée par la route bétonnée. Il s'agit du chemin évoqué dans Cosima de Grazia Deledda.
  2. En bus avec la ligne 8, dont le départ et le terminus se trouvent dans la via Manzoni, qui passe par le Viale della Solitudine. Le trafic sur la ligne est renforcé du 15 juin au 15 septembre.
  3. En voiture, en parcourant la route panoramique qui gravit le Mont Ortobene. Une bifurcation donne naissance à une boucle, permettant d'atteindre toutes les principales localités situées dans la montagne, qui peut être confortablement empruntée en voiture.

Étapes

Même la maison devant laquelle elle s'arrêta était insolite, située à une bifurcation où la route grimpait, d'un côté, vers la pente du mont, tandis que de l'autre elle descendait dans la vallée à gauche. C'était une petite église, dont la façade était tournée vers cette même vallée; elle était entourée, devant et sur un côté, d'un parvis renforcé par un petit mur avec une haie, qui clôturait une sorte de jardin, avec des arbres fruitiers ; on y accédait par un petit portail en bois, et un petit chemin menait à la partie orientale de la petite église, utilisée comme maison d'habitation.

Seulement deux petites fenêtres munies d'une grille s'ouvraient sur le mur de l'ancienne construction, où la route tournait en bas du parvis: le toit en tuiles noires, recouvertes de mousse et d'herbes parasites, couvrait à la fois la petite église et la maison; et deux signes, deux symboles, étaient l'un en face de l'autre, dans les deux arêtes au-dessus des deux vallées du promontoire: ils se regardaient comme des frères qui, même lointains, éloignés de tout, partagent des souvenirs avec tendresse, car ils ont toujours la même mère: celui en haut de la façade, au-dessus d'un petit arc d'où pendait la cloche, était une croix; l'autre, du côté du jardin, situé presque entièrement sur la petite porte de la maison, était une cheminée: un drapeau de fumée en sortait, et égaya le cœur de Concezione.
(Grazia Deledda, La chiesa della solitudine).

L’actuelle église de la Vierge de la Solitude fut édifiée entre 1950 et 1957, sur un projet de Giovanni Ciusa Romagna: au même endroit il était situé le sanctuaire champêtre du XVIIe siècle décrit par Grazia Deledda dans son roman La chiesa della solitudine, le dernier à avoir été accompli (Cosima parut à titre posthume et inachevé). L'église est strictement associée à l'écrivaine: les travaux de restauration (voire de reconstruction) furent d'ailleurs commandités suite à la proposition de ramener sa dépouille dans sa ville natale, pour ensuite l'inhumer dans l'ancienne église champêtre. Un appel d'offres fut lancé, et le projet de rénovation présenté par Giovanni Ciusa Romagna fut choisi; le projet pour la réalisation du parvis d'en face, par la suite fortement remanié, fut confié à Antoni Simon Mossa.

Le nouveau sanctuaire récupère la simplicité de la structure d'origine («Rien ne le décorait; le toit était en planches de bois, comme celui d'une cabane; un siège en pierre, le long du mur, servait de banc»), dont il conserve quelques éléments décrits par Grazia Deledda, notamment le raccordement avec la maison du gardien.

Elle se rendit à la petite église, à travers la petite sacristie communiquant également avec la cuisine. Une fenêtre toute petite et haute s'ouvrait dans la petite pièce, au nord: on pouvait y voir la montagne, comme dans un petit tableau mélancolique, sans le ciel dans l'arrière-plan, et la lumière crue des roches nues donnait un sentiment profond de solitude glaciale. Même la petite église, à laquelle on accédait par une petite porte communiquant avec la petite sacristie, paraissait creusée sous terre, tellement elle était froide et humide; la lueur de l'ampoule à côté de l'autel, et celui de la lunette poussiéreuse au-dessus de la porte, en augmentaient la tristesse, mais, une fois la fenêtre ouverte, une clarté bleue azur provenant de l'horizon dégagé sur la vallée au loin, rendit moins glaciale et lugubre le pauvre sanctuaire.

Bien que les formes architecturales soient épurées, le mobilier liturgique réalisé dans la seconde moitié des années 1950 par Eugenio Tavolara (entrée principale, décoration latérale avec les quatorze stations du Chemin de croix, porte du tabernacle, Crucifix et cloche) et Gavino Tilocca (relief absidale en marbre de la Vierge à l'Enfant), est riche et original.

Le 20 juin 1959 la dépouille de l'écrivaine fut transférée ici. Après son décès (qui eut lieu le 15 août 1936, en raison de la même maladie qui se manifesta chez la protagoniste de La Chiesa della solitudine), Grazia Deledda avait été enterrée à Rome, au cimetière monumental du Verano, dans une tombe rappelant, selon sa propre volonté, un nuraghe. Son petit-fils, Alessandro Madesani, précise que sa grand-mère n'exprima jamais le souhait d'être enterrée en Sardaigne. Sa dépouille fut ramenée à sa ville natale à l'initiative de la Région Autonome de Sardaigne, ainsi que d'un comité d'intellectuels sardes, ce qui fut, comme mentionné ci-dessus, à l’origine de la rénovation de l'église champêtre du XVIIe siècle dans le formes épurées conçues par Ciusa Romagna. Grazia Deledda se vengea peut-être de ce déplacement forcé: les autorités municipales qui, en grande pompe, avaient organisé la nouvelle inhumation, comprirent en retard que le cercueil arrivé de Rome était trop grand pour le sarcophage réalisé exprès.

Afin de ne pas décevoir la foule venue en masse pour cette occasion, de fausses funérailles furent donc prévues, mais un escamotage fut nécessaire pour résoudre cette regrettable situation: il fut creusé un tunnel menant de l’extérieur de l'église au sarcophage, et le vrai cercueil de l'écrivaine fut ensuite installé à l’extérieur de l'église.

Ce n'est que depuis peu de temps que la dépouille a été placée dans l'endroit initialement prévu: en 2007 le cercueil fut exhumé encore une fois pour, à l'issue des travaux de rénovation de l'église, être enfin installé à l’intérieur de l'église, dans le sarcophage conçu par Giovanni Ciusa Romagna.

À l’extérieur de l'église, à proximité du parvis, Maria Lai a réalisé Andando Via. Omaggio a Grazia Deledda (2013). Cette intervention, inachevée suite au décès de l’artiste, est sa dernière œuvre d'art publique.

À la moitié du sentier 101 (après environ une heure de chemin) vous arriverez à la Fontaine Sa ‘e Milianu, une des nombreuses présentes sur l’Ortobene. Cette source, consacrée à Saint Émilien, donne origine au ruisseau Ribu ‘e Seuna. L’emplacement actuel date des années 1930. Il semblerait que c'est ici que se situait le cœur primitif de la ville. Vers 1000 après J.-C. ses habitants s'établirent dans la vallée et créèrent le quartier de Seuna. C'est à l'entrée de cet ancien quartier que se trouvait la fontaine Istiritta, mentionnée par Satta dans Le jour du jugement:

N'en avait-on pas assez avec les merveilleuses fontaines situées à la périphérie du village, Obisti, Istiritta, aux eaux d'une fraîcheur inouïe, qu'au coucher de soleil les servantes (sas teraccas) ramenaient à la maison dans des amphores légèrement posées sur leurs têtes, celles-ci tout juste protégées par un bourrelet? Aujourd'hui encore qu'il y a des quantités d'aqueducs, les vrais autochtones dédaignent l'eau qui arrive par des tuyaux et envoient puiser l'eau antique de la montagne.

L’adjectif 'mirabili' (‘merveilleuses’) avait engendré une erreur que l'on peut retrouver dans toutes les éditions du roman (Cedam, Adelphi, Ilisso, etc); une correction a été effectuée, suite au travail philologique reposant surtout sur le manuscrit (L'autografo de Il giorno del giudizio par Giuseppe Marci, ainsi que l’édition de Il Maestrale sous la direction d'Aldo Maria Morace): en effet, à cause d'une faute de frappe dans le premier dactylographié, ‘mirabili’ avait été transformé en ‘miserabili’ ('pauvres').

Le souvenir de cette fontaine, aujourd'hui disparue, est toutefois à retrouver dans les alentours, où se situe la Fontaine de Mariedda. Celle-ci aussi possède un côté littéraire: elle est évoquée dans une œuvre en langue sarde de Pascale Dessanay, poète contemporain di Grazia Deledda:

Fit una die de iberru mala e fritta
fit bentu, fit froccande a frocca lada
e Mariedda, totu tostorada,
ghirabat chin sa brocca dae Istiritta.

Buffandesi sas ungras, poveritta!
Fachiat a cada passu s’arressada
e dae sa fardettedda istrazzulada
nch’essiat un’anchichedda biaitta.

Mentras andabat gai arressa arressa,
istabat annottandesi sa frocca
ch’imbiancabat una murichessa,

Cando trabuccat… e a terra sa brocca!
Mariedda pranghende tando pessat
chi li cazzan su frittu chin sa socca.

 

C'était une sale journée d'hiver, il faisait froid
Il y avait du vent, il neigeait à gros flocons
Et Mariedda, toute transie,
rentrait d'Istiritta avec un broc.

Elle réchauffait ses mains, la pauvre!
À chaque pas qu'elle faisait, elle s'arrêtait
E sa petite jupe délabrée
Mettait à nu ses petites jambes toute rouges.

Elle arrêtait sa marche, d'un air rêveur,
et s'attardait à admirer ces flocons,
qui blanchissaient un mûrier,

Mais voilà qu'elle trébuche… et le broc se brise en mille morceaux!
Alors Mariedda pleure et pense
Qu'une sangle la débarrassera du froid.

Les sources de la ville trouvent donc leur origine dans ces eaux merveilleuses de montagne. Deledda en parle dans Cosima, lorsqu'elle évoque le trajet du bourg au sommet de l’Ortobene:

Une deuxième halte eut lieu à la source d'eau pure et claire comme un diamant qui jaillissait dans un petit bassin en pierre et se répandait modestement, presque furtivement, à travers l'herbe piétinée et boueuse, dans un cercle de chênes verts rampant çà et là sur les sommets bleus. Désormais on entendait le cri des geais, et l'air devenait une liqueur parfumée à la menthe.

Les jeunes filles s'agenouillèrent sur la pierre et se penchèrent pour boire dans la fontaine: dans le petit miroir d'onyx de l'eau, Cosima vit le reflet de ses yeux, qui lui semblèrent de la même lumière miraculeuse: c'était une lumière qui jaillissait de la profondeur de sa terre et qui avait un jour reflété l'âme assoiffée de divinité de ses ancêtres bergers et poètes.

Dans la partie la plus haute du Monte Ortobene se trouve la statue en bronze du Redentore, réalisée par Vincenzo Jerace en 1901 à l'occasion du Jubilé. En bas de l'escalier menant au petit belvédère sur lequel la statue a été installée, on remarquera une plaque commémorative: l’épigraphe (qui date de 1905) a été écrite par Grazia Deledda afin de rendre hommage à Luisa, la jeune épouse du sculpteur, décédée tout juste à la fin des travaux (Vincenzo Jerace incisa sur la paume de la main du Christ une inscription dédiée à sa femme, qui venait de succomber: À Luisa Jerace, disparue tandis que son Vincenzo la sculptait):

Femmes de Nuoro / bergers âgés, candides et errants / travailleurs éparpillés dans la vallée parfumée / et vous tous qui, lorsque le soir au couleur du ciel commence à tomber / tournez les yeux orants vers l’immense autel de l'Ortobene / et vers le Redentore en bronze, se dressant / parmi les nuages, roses comme des fleurs, offrez votre cœur / remémorez-vous la gentille femme qui, au-delà de la mer / pour vous inspira le créateur / et maintenant qu'elle a défait ses voiles / mortels, son esprit choisi / au-delà des cieux brillants / offre la fleur de la prière au Redentore.

Du belvédère au pied de la statue, le visiteur profitera alors d'une vue imprenable sur la ville de Nuoro, le hameau de Lollove et les territoires de quelques villages qui font partie du DCN. À ces magnifiques paysages, que l'on admire depuis le sommet de la montagne, Deledda a consacré des pages célèbres, à juste titre, dans Cosima:

Certes, ce jour-là, Cosima apprit plus de choses qu'en dix leçons du professeur de lettre. Elle apprit à distinguer la feuille dentelée du chêne de celle lancéolée du chêne vert, et la fleur aromatique de la molène de celle du volubilis. Et depuis un château en granit au-dessus duquel tournoyaient les faucons qui semblaient attirés par le soleil tels des papillons de nuit attirés par la lumière, elle vit une grande épée en acier, mise au pied d'une falaise verte, comme si elle était là pour indiquer que l'île avait été séparée du Continent. C'était la mer que Cosima voyait pour la première fois.

(…)

Elle s'éloigna rapidement, entre les fougères de la clairière, les frôlant de ses bras ouverts, telle une hirondelle volant bas à l'approche de l'orage, et elle revint ensuite au sommet de l'à-pic d'où on voyait la mer. Le mer: le grand mystère, la garrigue de fougères bleues que l'hirondelle survole pour aller dans des terres lointaines. Elle aurait voulu faire pareil, et partir vers les terres merveilleuses dont lui avait parlé Antonino; elle rougit encore une fois en pensant à lui, le prince vêtu des couleurs de la mer que toutes les jeunes filles attendent. Les cris des jeunes gens la rappelaient à la réalité: on entendait aussi les sifflements des bergers qui rassemblaient le troupeau et chaque voix, chaque son, vibrait dans le grand silence avec un écho limpide comme dans une maison de cristal. Le soleil se couchait du côté opposé, sur les montagnes au-delà de la plaine, et déjà les chèvres escaladant encore les sommets avaient les yeux aussi rouges que ceux des faucons. Il était temps de rentrer à la maison; et, se souvenant des journées de son enfance et des histoires qu'elle se racontait à elle-même, tel le chant du grillon, elle se sentait, devant la mer et au bord des grands précipices rouges du coucher du soleil, comme la chevrette sur le sommet crénelé du rocher, qui voudrait imiter le vol du faucon et pourtant, au sifflement du berger, doit rentrer à l'étable.

Une photo de l'écrivaine se promenant sur le Mont Ortobene, accompagnée d'Antonio Ballero et d'autres membres de l’Athènes Sarde, est exposée dans la maison-musée de Grazia Deledda; l’image date des premiers étés où elle revenait en Sardaigne pour les vacances, après son mariage et son déménagement à Rome. Suite au décès de sa mère, à la vente de la maison et à l'arrivée à Rome de ses sœurs Peppina et Nicolina, les vacances d'été en Sardaigne seront remplacées par celles à Viareggio, puis à Cervia.

Le sanctuaire, situé au sommet du mont Ortobene, fut fondé en 1608, par la volonté des frères Pirella. Son édification est associée au relèvement d'un vœu: en cette année-là, un bateau qui avait à bord des pèlerins de retour du Sanctuaire de la Vierge de Montenero à Livourne, fut surpris par une très violente tempête. Les pèlerins, parmi lesquels Monsigneur Pirella, demandèrent l’aide de la Vierge, en lui promettant en échange la construction d'une église sur la première montagne qu'ils verraient. On se souvient des fondateurs du sanctuaire grâce à deux plaques commémoratives: la première se trouve au-dessus de la porte latérale, tandis que l’autre, avec le blason de famille, est située dans la porte principale.

L'église est un exemple typique d'architecture champêtre: non seulement il y a une seule nef, mais à l'arrière se trouvent sas cumbessias, les petites habitations destinées au pèlerins, où Cosima/Grazia logeait pendant la période de neuvaine, comme on le voit dans un autre extrait de Cosima:

Au-dessus de la petite ville, qui était déjà à six cents mètres au-dessus du niveau de la mer, sur le sommet de l'Ortobene situé en surplomb, au milieu de bois de chênes verts et de rochers de granit, peu éloigné de la propriété de la famille de Cosima et où pour la première fois elle avait vu la mer au loin, se dressait une petite église, dite justement l'église de la Madonna del Monte, sur une esplanade élevée et clôturée de blocs en pierre. De petites pièces étaient adossées à l'église, sous le même toit, et une sorte de petit porche s'ouvrait devant deux portes, une à midi l'autre à l'ouest, avec des bancs en maçonnerie tout autour. Pendant la période de la neuvaine et de la fête de la petite Madone, les fidèles demeuraient dans les petites pièces.

Étapes hors parcours

Depuis l'église de la Vierge de la Solitude, on peut rejoindre le Sanctuaire de Notre-Dame de Valverde en parcourant la Route Départementale 45. Ici tous les ans, le 8 septembre, a lieu une fête religieuse très chère au cœur des habitants: de nombreux fidèles provenant de la ville escaladent à pied les pentes de l’Ortobene et atteignent le sanctuaire en procession, accompagnés d'une neuvaine. La petite église champêtre apparaît aussi dans Roseaux au vent:

Le dimanche après Pâques il se rendit à une fête champêtre dans la petite église de Valverde. (…) Les gens marchaient, d'un air triste et pourtant tranquille, comme dans une procession qui les amenait non pas à un lieu de fête, mais de prière: au loin, un accordéon réitérait la mélodie religieuse des chants sacrés, et il comprit que sa pénitence venait de commencer. Une fois arrivé à la petite église, en haut de la pente rocheuse, il s'assit à côté de la porte et pria: il lui semblait que la Vierge, dans sa petite niche humide, regardait presque effrayée les gens qui venaient gêner sa solitude, et avait l'impression que le vent soufflait de plus en plus fort et que le soleil retombait vite au-dessus de la vallée, juste pour obliger tous ces intrus à partir.

Sur les pentes de la montagne, on peut visiter un site archéologique de très grand intérêt, les Domus de Janas de Borbore. Le nom évocateur de ces ensembles sépulcraux – domus de janas signifie maisons de fées – datant de l'époque prénuragique nous rappelle l'ardente fantaisie de Grazia Deledda: l'écrivaine a toujours été capable de fusionner la représentation de la réalité et l’expression des symboles, en se servant à la fois de l’objectivité du paysage et des suggestions fantastiques provenant des traditions populaires.

En voici un exemple dans cet extrait de la nouvelle L'anellino d’argento:

En Sardaigne, il existe toujours des maison de fées. Mais ces fées étaient vraiment petites; elle faisaient la taille d'un enfant de deux ans et n'étaient pas gentilles, au contraire elles étaient souvent méchantes: en dialecte on les appelait Janas et même aujourd'hui on peut toujours lancer un sortilège contre ceux qui nous ont blessés: – Mala Jana ti jucat – que la méchante fée t'emporte; autrement dit, qu'elle puisse te hanter.

Enfant, mon rêve était de visiter les domus de Janas afin d'y rentrer: mais c'était compliqué, car ces maisons étaient éloignées du village, dans des endroits déserts et caillouteux.

Mon envie augmentait à chaque fois qu'un jeune berger venait au village pour changer de chemise et se rendre à la messe: il racontait toujours des histoires.

Il prétendait avoir déjà visité plusieurs fois les domus de Janas et lorsqu'il entrait dans les détails, baissait sa voix. – Leur porte est petite et étroite, faite avec des dalles en pierre; pour y accéder il faut se mettre à quatre pattes: d'abord on ne voit qu'une petite pièce, un antre rempli de cailloux, qui sert d'abri pour les couleuvres et les lézards; mais si tu es assez patiente et fais attention, tu verras qu'il y a une pierre mouvante qui pivote comme un seuil: c'est la véritable entrée de la maison des Janas. Il faut à nouveau se mettre à quatre pattes, mais on arrive aussitôt dans une pièce qui fait plus de sept mètres de hauteur de plafond, toute dorée comme un pupitre, avec plein d'étoiles peintes dans sa voûte; tu regardes juste en face, à travers des milliers de portes grandes ouvertes, et tu vois des pièces en enfilade, toutes aussi belles les unes que les autres, qui débouchent dans une loge au bord de la mer.

C'était bien cela, le détail qui me fascinait le plus: la mystérieuse maison souterraine qui se déploie jusqu'à la mer infinie.

Mais il ne fallait pas croire à l'histoire du jeune berger.

Néanmoins, les créatures mystérieuses des traditions populaires habitent l’imagination inquiète (voire le subconscient) des personnages de Deledda, souvent oppressés par le sens du devoir et la culpabilité, tel le cas d'Efix dans Roseaux au vent:

Efix entendait le bruits produits par les panas (les femmes mortes en accouchant) lorsqu'elles lavaient le linge à la rivière, en le frappant avec un tibia appartenant à un mort; il était persuadé d'avoir aperçu l'ammattadore, le lutin aux sept chapeaux contentant un trésor, qui sautait partout sous les amandiers, pourchassé par des vampires à la queue en acier.

À son passage, les branches et les pierres brillaient sous la lumière de la lune: il y avait des mauvais esprits mais aussi ceux appartenant aux enfants non baptisés, des fantômes blancs qui s'envolaient et se transformaient en nuages argentés, derrière la lune: il y avait des nains et il y avait des janas, les petites fées qui, dans leurs maisons en pierre, passent leurs journées en tissant des étoffes en or à l'aide de métiers en or; elles dansaient à l'ombre de gros buissons de filaire, tandis que des géants se montraient entre les rochers des montagnes éclairées par la lune; ces derniers gardaient les rênes destinés à des immenses chevaux verts, qu'eux seuls sont capables de monter, et vérifiaient si quelques dragons se cachaient parmi les champs d’euphorbe maléfique ou bien si le mythique serpent de Canaan, vivant depuis l'époque du Christ, rampait dans le sable autour du marais.

Ce peuple mystérieux se balade dans les collines et les vallées, de préference pendant les nuits de pleine lune: les êtres humains n'ont pas le droit de déranger ces créatures avec leurs présence, puisque ils ont été respectés par les esprits, du moins tant que le soleil est là; maintenant il est grand temps de se retirer et de fermer les yeux sous la protection des anges gardiens.

Multimédia